La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse mesure la discrimination à l’embauche : mieux vaut se nommer Bélanger que Traoré
La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse mesure la discrimination à l’embauche : mieux vaut se nommer Bélanger que Traoré
Montréal, le 29 mai 2012 – Quand on est à la recherche d’un emploi dans la région de Montréal, il vaut mieux s’appeler Bélanger ou Morin que Traoré, Ben Saïd ou Salazar. À caractéristiques et à compétences égales, un candidat au patronyme québécois a au moins 60 % plus de chances d’être invité à un entretien d’embauche qu’une personne qui a un nom à consonance africaine, arabe ou latino-américaine.
C’est ce que révèle une étude réalisée par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse dont les résultats ont été publiés aujourd’hui. Ce « testing », qui avait pour objectif de mesurer la discrimination à l’embauche, a révélé un taux net de discrimination de 35 %. C’est donc dire, qu’une personne dont le patronyme l’identifie à un groupe racisé a été écartée du processus d’entrevue une fois sur trois.
C’est à la suite d’une réflexion amorcée en novembre 2008 que ce projet a vu le jour. En effet, la Commission avait tenu un colloque, réunissant plus de 400 personnes, intitulé Pour une véritable intégration : droit au travail sans discrimination et l’un des thèmes avait porté sur les appréhensions de certains employeurs concernant l’embauche de personnes issues de l’immigration.
Malgré le fait que le Québec sélectionne depuis plus de 15 ans ses immigrants dans la catégorie « travailleurs qualifiés » sur la base de critères conçus pour favoriser la sélection des candidats les plus susceptibles de connaître une intégration réussie, ces derniers connaissent des difficultés d’intégration socioéconomique considérables par rapport aux natifs du Québec et aux immigrants plus anciens d’origine européenne. Depuis quelques années, on entend fréquemment dire que l’explication tiendrait au fait que le domaine de formation et l’expérience de travail des immigrants seraient mal arrimés aux besoins du marché du travail québécois. Il est aussi communément admis que la non-reconnaissance des diplômes et de l’expérience acquis à l’étranger contribue dans une large mesure aux problèmes d’insertion socioprofessionnelle des nouveaux arrivants.
« Cette étude nous rappelle que les difficultés d’insertion en emploi que rencontrent certains groupes ethniques et racisés, issus de l’immigration ou non, ne tiennent pas qu’aux questions de compétence et d’expérience, mais également aux préférences discriminatoires des employeurs », a précisé aujourd’hui le président de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Gaétan Cousineau.
En effet, l’étude, sous la direction d’un sociologue à l’emploi de la Commission, Paul Eid, précise que les employeurs tendent, souvent inconsciemment, à rechercher des « personnes qui leur ressemblent », ou parfois même à éviter certains groupes qui sont perçus négativement dans la société québécoise.
En appliquant un « testing », une méthode de mesure des discriminations par envoi de CV fictifs qui a fait ses preuves en Amérique du Nord et en Europe, la Commission a ainsi pu mesurer, dans le secteur francophone du marché du travail montréalais, l’ampleur de la discrimination à l’embauche subie par les minorités racisées dans cinq domaines professionnels distincts.
Entre le mois de décembre 2010 et le mois de mai 2011, une adjointe à la recherche a répondu à 581 offres d’emploi d’entreprises privées, d’organismes publics et d’organismes sans but lucratif pour des postes dans trois domaines d’emplois qualifiés (marketing, ressources humaines et communications), des professions au sein desquelles les membres des minorités racisées sont sous-représentées, et dans deux domaines peu ou pas qualifiés (service à la clientèle et secrétariat).
Pour chacun de ces domaines, deux candidatures ont été créées, chacune composée d’un curriculum vitae et d’une lettre de présentation. Les paires de CV ont été révisées et calibrées par des experts des ressources humaines de chaque domaine afin de s’assurer que les expériences professionnelles et les qualifications des candidats au nom à consonance étrangère soient en phase avec la nature des emplois testés et les plus similaires possibles à celles de leur « jumeau » au nom franco-québécois. Tous les candidats fictifs avaient acquis une expérience de travail, fait leurs études ou obtenu leurs diplômes au Québec.
Le « testing » a notamment révélé que le taux de discrimination varie très peu selon que l’organisation testée soit une entreprise privée (37 %) ou un organisme sans but lucratif (OSBL) (35 %). Par contre, sur les 18 employeurs publics qui ont démontré un intérêt à l’endroit d’au moins un des candidats fictifs, cinq ont favorisé le candidat minoritaire, cinq le candidat majoritaire, alors que les huit autres ont convoqué les deux candidats en entretien, ce qui donne un taux net de discrimination de 0 %. Il est possible qu’un tel résultat, bien que reposant sur un mince échantillon, est dû en partie à l’obligation légale qu’ont les employeurs publics d’appliquer des programmes d’accès à l’égalité, qui ont une incidence sur le recrutement.
L’étude de la Commission a aussi démontré que les candidats aux noms à consonance africaine ont été nettement plus désavantagés que les candidats ayant des noms arabes ou latino-américains. Ainsi, le candidat au nom à consonance africaine pour un emploi peu ou non qualifié a été évalué plus négativement, avec un taux net de discrimination de 42,1 %, contre 35,1 % pour le candidat arabe, suivi plus loin derrière, par le candidat latino-américain avec 28,3 %. En ce qui concerne les emplois qualifiés, le taux de discrimination chez le candidat au nom à consonance africaine a été de 38,3 %, contre 33,3 %, pour les candidats arabes et 30,6 % pour les candidats latino-américains.
Par ailleurs, la Commission a voulu vérifier l’hypothèse voulant que la discrimination risquait d’être plus marquée dans les secteurs d’emplois qualifiés qui commandent de bons salaires et de bonnes conditions par comparaison avec des secteurs d’emploi peu qualifiés, mal rémunérés et offrant des conditions d’emploi peu avantageuses. Cette hypothèse a été réfutée : les résultats étant comparables pour les deux catégories d’emploi.
Par contre, contrairement à ce que l’on aurait pu croire, le taux de discrimination était plus bas pour les emplois exigeant des contacts fréquents avec le grand public (marketing, communications et service à la clientèle) que pour les emplois requérant des interactions quotidiennes avec des collègues dans le cadre d’un service dispensé à l’interne (secrétariat et ressources humaines).
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Le document Mesurer la discrimination à l’embauche subie par les minorités racisées : résultats d’un « testing » mené dans le Grand Montréal est disponible sur le site de la Commission à l’adresse suivante : www.cdpdj.qc.ca.