La défense des travailleurs et des travailleuses victimes d’une lésion professionnelle

alt de l'iamge

Le mouvement syndical a depuis toujours été à la défense des personnes qui ont subi des lésions professionnelles. Au début du 20e siècle, les mobilisations ont exhorté les gouvernements à réfléchir sur la manière de résoudre les problématiques vécues par les victimes et les employeurs, puisqu’à cette époque les travailleurs et les travailleuses ne bénéficiaient d’aucune sécurité d’emploi, en plus d’œuvrer dans des conditions dangereuses sans aucune protection de la loi. Lorsqu’une personne était victime d’un accident de travail et se retrouvait dans l’incapacité de subvenir à ses besoins, elle devait poursuivre son employeur au civil afin de recevoir un dédommagement monétaire en compensation des dommages physiques subis. Ce recours, à l’issue incertaine, était toutefois coûteux, long et inaccessible pour la majorité de la classe ouvrière. De leur côté, les employeurs poussaient les hauts cris de se retrouver acculés à la faillite si la cour accordait des dommages financiers trop élevés aux victimes.

Pour résoudre ces problèmes, le gouvernement ontarien a mis sur pied une commission en 1910. En 1913, le commissaire Meredith déposait son rapport comportant cinq recommandations qui se retrouveront dans l’ensemble des législations canadiennes, dont celles du Québec. Ces principes établiront les piliers du régime d’indemnisation des victimes d’accidents du travail encore en vigueur aujourd’hui. Elles se résument ainsi : les travailleurs et les travailleuses reçoivent automatiquement une indemnité sans égard à la faute en réparation de leurs accidents de travail via un fonds financé par les employeurs et géré par une instance autonome. En échange, les travailleurs et les travailleuses renoncent au droit de poursuivre leur employeur au civil.

Les principes de Meredith
  1. « Indemnisation automatique, c’est-à-dire que les travailleurs ont droit à des prestations, quelle que soit la façon dont l’accident est survenu. Le travailleur et l’employeur renoncent au droit de poursuivre en justice. Il n’y a pas de dispute à propos de la responsabilité d’un accident.
  2. « Sécurité des prestations, c’est-à-dire qu’un fonds est créé pour garantir l’existence des fonds nécessaires au paiement des prestations.
  3. « Responsabilité collective, c’est-à-dire que les employeurs couverts partagent la responsabilité de l’assurance contre les accidents du travail. Les employeurs se partagent le coût du régime d’indemnisation. Les employeurs cotisent à un fonds commun. La responsabilité financière devient leur responsabilité collective.
  4. « Administration indépendante, c’est-à-dire que l’organisation qui administre l’assurance contre les accidents du travail est distincte du gouvernement.
  5. « Compétence exclusive, c’est-à-dire que seules les commissions des accidents du travail peuvent offrir l’assurance. Les demandes d’indemnisation sont adressées uniquement à la commission des accidents du travail. La commission décide en dernier du ressort de toutes les demandes[1] ».

L’indemnisation des personnes accidentées n’est donc pas un « cadeau » des employeurs. Il s’agit d’un compromis historique dans lequel les travailleurs et les travailleuses ont abandonné leur droit de poursuivre leurs employeurs en échange d’une garantie minimale de protection monétaire en cas d’accident ou de maladie. Malheureusement, la Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail (Loi 27) adopté à l’automne 2021 vient bafouer ce compromis historique en limitant l’application large et libérale de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP), dans le seul but de faire économiser les employeurs en limitant l’accès aux droits prévus en réparation, via des règlements, pour les travailleurs et les travailleurs.

[1] association des commissions des accidents du travail du canada (acatc). Que sont les principes de Meredith ? [En ligne], [http://awcbc.org/fr/?page_id=226].

En 1985, la LATMP a été adoptée. Cette dernière n’avait pas été modifiée de manière substantielle, mais la Loi 27 sanctionnée le 6 octobre 2021 vient modifier grandement le régime auquel ont droit les victimes d’une lésion professionnelle, mais elle maintient quand même plusieurs droits que les victimes doivent utiliser et défendre à la suite d’une lésion professionnelle, que ce soit un accident ou une maladie.

Les principes de base de la LATMP

La LATMP a pour objectif premier de permettre la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu’elles entraînent, et ce, sans égard à la faute. C’est-à-dire que peu importe le contexte dans lequel l’accident ou la maladie professionnelle s’est révélé, la victime devra avoir accès à la réparation et à la réadaptation.

Toutes les personnes à l’emploi d’un employeur sont couvertes par la LATMP, en dehors des personnes exclues qui sont énumérées à l’article 2. Avec la Loi 27, même les travailleuses domestiques qui effectuent un minimum de 420 heures par année seront couvertes à partir du 6 avril 2022. Pour les personnes qui sont travailleurs autonomes, elles doivent s’inscrire à la CNESST et payer une cotisation afin d’être couvertes.

Même si l’accident se produit ou qu’une maladie se développe à l’extérieur du Québec, si la personne habite au Québec et que son employeur à un bureau au Québec, la personne est couverte par la LATMP et devra déposer une réclamation à la CNESST pour obtenir réparation et la réadaptation auxquelles elle a droit.

Un autre principe fondamental prévu à la LATMP, c’est l’interdiction pour les employeurs de réprimander ou de sanctionner d’une quelconque façon que ce soit, les travailleurs et les travailleuses qui se prévalent d’un droit prévu à la LATMP. Ainsi, un employeur ne peut pas vous congédier, changer votre horaire de travail ou baisser votre salaire sous prétexte que vous vous êtes prévalu d’un droit prévu à la loi. Si c’est le cas, n’hésitez jamais à porter plainte à la CNESST.

Il est important d’être proactif en cas de lésion professionnelle, et ce, dès que vous savez que votre lésion est reliée à votre travail. N’attendez jamais pour déposer une réclamation. Il vaut mieux déposer une réclamation, et par la suite la modifier avec des informations supplémentaires, que d’attendre et dépasser le délai de six mois prescrit par la loi.

Faire une réclamation à la CNESST

La première étape à la suite d’une lésion professionnelle, est d’abord d’aviser votre supérieur immédiat. Par la suite, il vous faut consulter un médecin, afin qu’il détermine s’il s’agit bien d’une lésion professionnelle et qu’il émette un diagnostic en conséquence. L’employeur doit rémunérer la personne pendant son absence et il ne peut pas l’obliger à consulter un médecin en particulier. C’est toujours le travailleur ou la travailleuse qui choisit son médecin, tel que prévu à l’article 192 de la LATMP. Le travailleur ou la travailleuse ne peut pas contester l’avis médical de son professionnel de la santé, d’où l’importance de bien le choisir. Le professionnel de la santé devra remettre une attestation médicale qui devra accompagner la déclaration du travailleur. Site ressource : (https://www.cnesst.gouv.qc.ca/fr/organisation/documentation/formulaires-publications/reclamation-travailleur). C’est un formulaire à remplir et à retourner à la CNESST. Demander l’assistance de votre représentant syndical pour remplir les formulaires dès que possible, et au plus tard, six mois après la lésion professionnelle.

Les suites possibles après votre réclamation

Une fois la réclamation envoyée, la personne devra attendre la décision de la Commission quant à la recevabilité de la demande. Pendant ce temps, l’employeur doit rémunérer la personne qui n’est pas apte à reprendre son emploi pendant les 14 premiers jours.

Si vous n’êtes pas d’accord avec la décision de la Commission à la suite de la réception de celle-ci, vous avez un délai de 30 jours pour demander une révision administrative. Si la Direction de la révision administrative (DRA) confirme la décision de première instance comme c’est le cas dans la très grande majorité des cas, un délai de 45 jours est prévu pour en appeler devant le Tribunal administratif du travail (TAT). Ces délais s’appliquent présentement, mais la Loi 27 vient modifier les procédures et les délais à partir du 6 avril 2023.

Dans toute la procédure de votre accident de travail, consultez votre syndicat, ou si vous n’êtes pas syndiqué, un organisme de défense des travailleurs et des travailleuses. Les démarches sont nombreuses et peuvent rapidement se complexifier s’il y a des contestations d’ordre médical de la part de la CNESST ou de l’employeur.

Si vous n’êtes pas syndiqué, voici des groupes qui peuvent vous aider :

Le Bureau d’évaluation médical (BEM)

Le Bureau d’évaluation médical a été instauré pour agir en tant qu’arbitre lors de contestation de l’avis médical du professionnel de la santé qui suit la victime de lésion professionnelle. L’employeur peut contester l’avis médical en demandant que la personne ait subi un examen médical chez le médecin choisi par l’employeur. Si l’avis de ce dernier est différent du professionnel de la santé de la victime, un médecin faisant partie du Bureau d’évaluation médical sera saisi du dossier et rendra un troisième avis qui liera la CNESST. Dans le cas où c’est la Commission qui conteste l’avis médical du professionnel de la santé de la victime, la CNESST demandera directement à un médecin du BEM de se prononcer. Les décisions émises par la Commission à la suite d’une démarche au BEM sont contestables de la même manière que toute autre décision de cette dernière.

La contestation abusive des employeurs

Afin d’éviter des coûts, les employeurs briment les droits des travailleurs et des travailleuses en contestant inlassablement les dossiers de lésions professionnelles pourtant reconnues et indemnisables. Ces démarches ne visent qu’à éviter une hausse de leurs cotisations à la CNESST. Alors qu’en principe le diagnostic du médecin traitant lie la CNESST, le Bureau d’évaluation médicale (BEM) permet de trancher entre l’avis du médecin de l’employeur et celui du médecin traitant. En 2018, 71 % des contestations au BEM ont été initiées par les employeurs. Si le BEM change l’opinion du médecin traitant, les victimes d’une lésion doivent alors se défendre dans un processus médico-légal long et complexe qui demande des connaissances spécialisées et des moyens financiers dont disposent peu de travailleurs et de travailleuses. Cet état de fait met en péril l’accès aux indemnisations et génère un stress supplémentaire pour les personnes malades, qui doivent parfois attendre jusqu’à deux ans avant la fin des procédures. Malheureusement, les modifications proposées par la Loi 27 ne viennent en rien corriger cette problématique, et de nombreuses victimes de lésion professionnelle devront encore se battre devant les tribunaux afin d’avoir accès aux indemnités et à la réadaptation. Si ce n’est pas encore fait, contactez votre syndicat ou un organisme de défense des travailleurs et des travailleuses accidentés.

L’accès à la réadaptation

La LATMP prévoit la réadaptation physique, professionnelle et sociale des personnes victimes d’une lésion professionnelle. De manière générale, les réadaptations portent sur les besoins d’équipement spécialisé, de prothèse, d’orthèse, ou encore à l’adaptation du domicile, du véhicule ou de l’espace de travail pour assurer la réparation le plus possible des conséquences de la lésion professionnelle.

Le professionnel de la santé que la victime aura choisi a le rôle de prescrire les besoins en réadaptations nécessaires au retour à la santé. Pour y arriver, il est normal que la victime ait à voir plusieurs spécialistes si sa condition l’exige. La CNESST a l’obligation de payer tous les frais reliés à la réadaptation, et ce, peu importe sa politique, à l’interne. D’ici à ce que les nombreux pouvoirs réglementaires prévus à la Loi 27 viennent amoindrir l’accès à une réadaptation adéquate pour la réalité spécifique des victimes, n’hésitez pas à exiger le paiement complet des frais liés à une réadaptation. Une décision de la CNESST peut être contestée.

L’indemnité de remplacement de revenu (L’IRR)

Si la lésion professionnelle empêche la victime de travailler, celle-ci aura droit à une indemnité de remplacement de revenu, qui équivaut à 90 % du revenu net de la personne. Ce revenu ne peut pas être inférieur au salaire minimum ni supérieur au salaire maximum assurable : (https://www.cnesst.gouv.qc.ca/fr/demarches-formulaires/employeurs/dossier-dassurance-lemployeur/annexes-tableaux/salaire-maximum-annuel-assurable).

Cette indemnité sera versée aux deux semaines, dès que le dossier sera accepté par la CNESST. Si la Commission a commis une erreur dans le calcul de l’IRR, il faut demander une révision administrative, et par la suite, contester la décision devant le Tribunal administratif du travail (TAT) si la révision n’a pas corrigé le problème.

L’assignation temporaire

La personne victime d’une lésion professionnelle peut effectuer un travail qui respecte sa condition médicale pendant sa convalescence si l’employeur lui demande et que le professionnel de la santé qui s’occupe d’elle est en accord. Lors d’une assignation temporaire, la personne reçoit son salaire qu’elle aurait eu si elle occupait son emploi. Dans le cas des personnes qui ont un salaire supérieur au maximum du salaire assurable par la CNESST, l’assignation temporaire peut-être particulièrement intéressante afin de ne pas avoir de perte monétaire. Toutefois, pour les employeurs aussi l’assignation temporaire est particulièrement intéressante puisque cette dernière limite les coûts associés à la lésion professionnelle. Dans l’objectif d’économiser de l’argent, certains employeurs créent des assignations temporaires fictives. Il faut s’assurer que les assignations temporaires ne nuisent pas à la santé physique et psychologique des personnes.

La consolidation

Une étape importante lors du rétablissement d’une lésion professionnelle est la consolidation. Cette dernière arrive lorsque la condition de la personne ne peut plus évoluer vers une guérison supérieure à ce qui a été atteint. Soit la personne victime de la lésion professionnelle a retrouvé l’ensemble de ses capacités pré lésionnel, soit la personne demeure avec des limitations fonctionnelles. Si c’est le cas, il est possible que la victime reçoive une compensation monétaire pour la perte de ses capacités ou d’un membre.

Comme tout avis médical, l’avis émis concernant la consolidation par le professionnel de la santé qui traite la victime peut être contesté par l’employeur ou la CNESST. Si par la suite, l’avis émis par le Bureau d’évaluation médical n’est pas satisfaisant, il faut contester devant le Tribunal administratif du travail.

L’obligation d’accommodement

Depuis l’Arrêt Caron en 2018, les employeurs ont l’obligation d’accommoder les victimes de lésion professionnelle et de les réintégrer dans leur emploi, ou un emploi convenable dans leur entreprise, à moins qu’ils démontrent une contrainte excessive. La Loi 27 vient encadrer l’application des enseignements de l’Arrêt Caron et dès le 6 octobre 2022, la CNESST aura des obligations formelles pour s’assurer que l’accommodement est réalisé.

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