2004.02.02

2004.02.02

Figure du mouvement ouvrier – Éva Circé-Côté : journaliste, syndicaliste et féministe à l’aube du 20e siècle

De 1916 à 1938, Éva Circé-Côté collabora régulièrement au journal Le Monde ouvrier. Durant 22 ans, elle a produit plus de 50 articles par année, dénonçant les injustices, la corruption, l’obscurantisme, fustigeant le racisme et le puritarisme, réclamant des droits pour les travailleurs et travailleuses, portant le drapeau de l’émancipation des femmes.

Mais vous allez chercher en vain une quelconque mention de son nom dans Le Monde ouvrier. Éva se dissimulait sous le pseudonyme masculin de Julien St-Michel, ce qui lui permettait de tenir des propos radicaux et féministes qu’aucune femme n’aurait osé avancer à l’époque.

Mais qui était Éva Circé-Côté ?

Fondatrice de la Bibliothèque de Montréal
Les rares repères biographiques nous la présentent d’abord comme la fondatrice de la Bibliothèque de Montréal. Elle a également commis quelques poèmes et pièces littéraires sous les pseudonymes de Musette ou de Colombine.

Éva Circé-Côté, née à Montréal en 1871, est la fille d’Exilda Décarie et de Narcisse Circé, marchand. L’historienne Andrée Lévesque évoque les premières années d’Éva : « Au couvent des sœurs de Sainte-Anne à Lachine, elle se distingue par son talent littéraire et artistique. Elle s’adonnera au chant et à la peinture avant de se fixer sur l’écriture et de faire ses premières armes au journal Les Débats.

L’éducation est, pour Éva, la clé de l’émancipation tant pour les femmes que pour la classe ouvrière. Elle est en parfaite communion d’esprit avec les syndicats internationaux qui réclament l’éducation libre, laïque, gratuite et obligatoire, adaptée aux besoins d’une société industrielle. Elle demande une éducation accessible à tous et pratique.

Hommes et femmes doivent avoir accès à des écoles techniques pour recevoir une véritable formation professionnelle. Elle demande aux femmes de se préparer à une carrière industrielle pour obtenir ainsi leur autonomie financière. Elle aurait même dirigé, vers 1908, un « lycée de jeunes filles ».

Longtemps retardée par les réticences de Mgr Bruchési, évêque de Montréal, l’ouverture d’une première bibliothèque publique peut enfin se matérialiser par l’adoption d’une résolution-compromis au conseil municipal autorisant la création d’une bibliothèque technique, logée au Monument national. Éva en devient la première « conservatrice ».

Elle aurait été forcée de quitter son poste de direction vers 1909. Mgr Bruchési avait dénoncé aux membres du comité de la bibliothèque une certaine largeur d’esprit dans le choix des acquisitions : « Je vous signale entr’autres ouvrages ceux de Voltaire, de J.-J. Rousseau, de Balzac et de George Sand, qui n’ont certainement pas leur raison d’être dans une bibliothèque civique ».

On ne lui a sûrement pas pardonné d’avoir épousé, en 1905, le docteur Pierre-Salomon Côté, autre esprit libéral, connu pour ses sympathies franc-maçonnes. Il meurt en 1909, peu avant son initiation à la loge l’Émancipation, sans parler du scandale de ses funérailles civiles et de son incinération dans le Québec très catholique d’alors.

Après quelques années consacrées à élever sa fille, Éva réapparaît, sous le nom de Julien St-Michel, dans la deuxième livraison du Monde ouvrier, le 25 mars 1916. En première page, il (ou elle) signe un article intitulé « Un beau jour naît pour les femmes ».

Plus de vingt ans au Monde ouvrier
Le syndicaliste Gustave Francq, fondateur du journal Le Monde ouvrier, ne pouvait pas s’allier à personne plus déterminée qu’Éva Circé-Côté pour faire avancer ses idéaux de progrès et d’émancipation. Éva n’a pas froid aux yeux. Dans les pages du Monde ouvrier, elle n’hésite pas à croiser le fer et à réfuter les écrits d’Henri Bourassa contre le vote des femmes.

Aux tenants de la « pureté de la race », elle oppose l’intégration des immigrants : le mélange des peuples n’en sera que plus heureux. Elle dénonce l’antisémitisme et la discrimination contre les commerces juifs. Avec la même verve que Gustave Francq, elle profite de la Fête nationale des Canadiens français pour écrire « …notre patron Saint-Jean-Baptiste, qui est juif… ».

Elle dénonce l’infantilisation des femmes consacrée dans le Code civil du Québec. Elle va jusqu’à suggérer que « les femmes sous puissance du mari jouissent des mêmes droits que celles qui travaillent pour un patron ».

En pleine crise économique, elle défend, en 1934, le droit au travail des ouvrières que le ministre du Travail, Charles Arcand, veut voir congédier en faveur des chefs de famille. Elle écrit alors : « Si l’on croit avoir trouvé le moyen de faire réintégrer le foyer à celles qui se sont bâti un nid à elles et qui ont organisé leur existence pour vivre indépendantes, on se trompe grandement. Elles prendront un autre chemin que celui de la maison, et ce n’est pas celui qui conduit à l’église. »

Ses écrits font l’éloge de l’industrie et du progrès. À l’encontre des élites nationalistes et religieuses, on ne trouve chez elle aucun commentaire romantique sur la supériorité de la vie rurale et la soi-disant vocation agricole des Canadiens français. Au grand dam des communautés religieuses, elle réclame l’intervention de l’État dans les services sociaux. Comme Gustave Francq, elle voit la cause de la prostitution dans les salaires dérisoires et appelle à la tolérance et à l’éducation.

Elle prône l’intervention de l’État pour faire respecter le salaire minimum et les normes du travail. Le travail rémunéré, tout comme l’éducation, demeure le gage de l’émancipation féminine qu’il faut défendre par tous les moyens.

On reparle depuis peu d’Éva Circé-Côté. Les travaux de l’historienne Andrée Lévesque y ont été pour beaucoup. On vient tout juste de rééditer le surprenant « Papineau, son influence sur la pensée canadienne » de Circé-Côté, originalement paru en 1924.


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