Mythes et avantages des décrets de convention collective

Dans cette dernière partie, nous nous attaquerons à certains mythes véhiculés sur la LDCC et les décrets de convention collective. Faut-il rappeler que certaines organisations, dont la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, militent sans relâche pour faire abolir ce régime de relations de travail ? Certains syndicats émettent aussi des craintes en regard de la Loi et ses effets sur la syndicalisation. Nous proposons ici de répondre à trois mythes fréquemment soulevés lorsqu’il est question des décrets. Nous terminons cette section en relevant les avantages de ceux-ci pour les différentes parties prenantes.

Mythes à déconstruire sur les décrets de convention collective

Nous examinons ici trois mythes persistants relativement aux décrets de convention collective. Nous démontrerons que cette Loi est toujours d’actualité, ne nuit pas à la syndicalisation ni à la compétitivité des entreprises.

Mythe numéro 1 – La Loi sur les décrets de convention collective est archaïque et déphasée avec les réalités économiques d’aujourd’hui.

Malgré le fait que la Loi sur les décrets de convention collective a été adoptée en 1934, plusieurs secteurs, dont celui des services, se caractérisent par des réalités qui ont justifié l’adoption de la Loi :

  • Des conditions de travail difficiles et des salaires peu élevés;
  • La présence d’une majorité de PME où la syndicalisation est difficile;
  • Une omniprésence du travail atypique et de conditions de travail précaires;
  • Une concurrence vive entre les entreprises.

La Loi pourrait ainsi permettre d’établir des standards plus décents dans les secteurs comme l’aide à domicile et les résidences pour personnes aînées. Dans ce contexte, la déclaration suivante de Charles-Joseph Arcand, ministre du Travail lors de la l’adoption de la LDCC demeure étonnamment contemporaine :

« Sous l’aiguillon de la concurrence, les employeurs désireux de réduire leurs prix de revient luttent entre eux à coup de réduction successive des taux de salaire. Le salaire n’est pas le seul élément de la concurrence. (…) L’expérience a révélé, toutefois, qu’on s’attaque surtout à l’élément salaire, qui est le plus compressible. Ce régime de la concurrence a ses avantages, mais il conduit à de graves abus. Le salaire a un aspect économique mais, ne l’oublions pas, il a aussi un aspect familial et social; c’est par lui que l’homme gagne sa vie et celle des siens et il ne peut, sans que la justice ne soit violée, descendre à un niveau que réprouve la dignité humaine21. » (nos gras).

Mythe numéro 2 – En octroyant des conditions minimales qui découlent d’une convention collective à l’ensemble des personnes salariées, mêmes non-syndiquées, d’un secteur, on nuit à la syndicalisation

Au contraire!

D’abord, la Loi sur les décrets de convention collective s’appuie sur le Code du travail22. Une demande d’adoption d’un décret ne peut être formulée que par une partie à une convention collective au sens du Code du travail. La partie syndicale contractante doit nécessairement être une association de salariés accréditée.

De plus, un syndicat qui cherche à octroyer de meilleures conditions de travail à toutes les personnes salariées, y compris les non-syndiquées, et s’assure de faire respecter leurs droits par l’entremise du comité paritaire peut contribuer à donner aux travailleurs une première expérience syndicale positive. Or, il est connu que parmi les facteurs qui contribuent au succès d’une campagne de syndicalisation celui d’avoir vécu une expérience favorable avec un syndicat joue un rôle déterminant.

Troisièmement, un décret de convention collective définit des normes minimales sectorielles. Si elles sont plus avantageuses que celles proposées par la LNT, celles prévues dans une convention collective se distinguent avantageusement de deux façons:

  • La convention collective contient généralement plus de clauses qu’un décret couvrant autant de sujets qui reflètent les conditions particulières d’une entreprise;
  • La convention collective est généralement plus avantageuse eu égard aux conditions de travail qu’il s’agisse par exemple des salaires, des avantages sociaux et des congés.

Il faut enfin voir le décret comme un levier de négociation. En relevant le plancher minimum des normes du travail au-dessus de la Loi sur les normes du travail, un décret permet à la partie syndicale de négocier des avantages supérieurs pour ses membres. De plus, les décrets viennent faciliter la négociation collective dans les secteurs où la concurrence entre les entreprises est vive. Autrement, ce serait impossible pour un syndicat de réaliser des gains durables si ceux-ci se traduisent pour l’entreprise par des coûts de main-d’œuvre trop élevés par rapport aux concurrents.

Mythe numéro 3 – La Loi sur les décrets de convention collective nuit à la concurrence et à la compétitivité des entreprises

Cette affirmation peut difficilement s’avérer dans la mesure où la Loi prévoit deux mécanismes pour assurer le maintien de la concurrence :

  1. Les conditions de travail qui font l’objet d’une extension sont négociées par les parties patronales et syndicales qui connaissent les réalités de leur secteur d’activité;
  2. Le ministre du Travail doit procéder à une analyse d’impacts économiques et s’assurer que le décret n’a pas d’inconvénients sérieux pour les entreprises en concurrence avec des entreprises établies à l’extérieur du Québec et ne nuit pas à l’emploi dans le champ d’application visé;

La Loi n’empêche donc pas les entreprises de se faire concurrence, mais celle-ci ne doit pas s’exercer sur les salaires des personnes salariées et autres conditions de travail prévues au décret.

Les avantages de la Loi sur les décrets de convention collective

La Loi sur les décrets convention collective fait partie des outils à la disposition des syndicats pour remplir leur mission première : défendre les intérêts et les droits des travailleurs et des travailleuses. Cette Loi offre donc plusieurs avantages et opportunités à la fois pour les syndicats et les travailleurs et travailleuses, parmi ceux-ci les femmes et les personnes immigrantes.

Concrètement, la Loi et les décrets qui en découlent permettent aux syndicats :

  • D’accroître leur influence dans un secteur :
    • En négociant des conditions de travail minimales pour tous les travailleurs et travailleuses d’un secteur, luttant ainsi contre les inégalités sociales;
    • En participant à la surveillance et l’application du décret via un comité paritaire;
    • En prenant part avec la partie patronale au sein du comité paritaire à des échanges portant sur les enjeux d’un secteur tels que la formation professionnelle.
  • De renforcer leur pouvoir syndical :
    • En solidifiant leur présence dans des secteurs difficiles à syndiquer (plusieurs PME, emplois précaires, fortement intensifs en main-d’œuvre…);
    • En limitant les effets néfastes de la sous-traitance par l’application d’un décret à l’ensemble des acteurs patronaux d’un secteur;
    • En limitant le dumping social par la négociation d’une convention collective qui fera l’objet d’une extension juridique à tout un secteur écartant ainsi les entreprises qui tablent sur des conditions de travail médiocres pour entrer en compétition avec les autres entreprises syndiquées.

Pour les travailleurs et les travailleuses, les décrets comportent de nombreux avantages dont :

  • L’accès à des conditions de travail supérieures aux normes minimales du travail;
  • La possibilité d’obtenir des avantages sociaux comme c’est le cas pour certains décrets;
  • La capacité de faire respecter leurs droits via une instance de proximité qui prend en charge les plaintes, le comité paritaire;
  • L’accès à une meilleure insertion professionnelle en permettant à des femmes et des personnes immigrantes dans les secteurs des services en particulier de bénéficier de conditions de travail décentes.

La Loi sur les décrets de convention collective peut s’avérer tout aussi avantageuse pour les employeurs et le gouvernement.

En ce qui concerne les employeurs, les décrets :

  • Favorisent l’attraction et la rétention de la main-d’œuvre en offrant des conditions de travail supérieures aux normes minimales dans des secteurs qui souffrent d’une pénurie de main-d’œuvre;
  • Permettent aux donneurs d’ouvrage d’évaluer et de comparer les soumissions dans le secteur des services sur d’autres critères que les coûts de main-d’œuvre23;
  • Favorisent la stabilité et la prévisibilité des relations de travail en fixant les conditions de travail pour une période donnée;
  • Permettent d’offrir un salaire décent et de la formation qui se traduisent par une hausse de la productivité, une baisse de l’absentéisme et une diminution du taux de roulement selon l’Association des comités paritaires24;
  • Forcent les entreprises à se détourner d’une stratégie de bas salaire pour en adopter une axée sur l’innovation, la formation, la productivité et la qualité.

Enfin, pour le gouvernement, le régime des décrets de convention collective :

  • Favorise un dialogue social qui permet l’atteinte d’un consensus tout en favorisant une participation démocratique des différentes parties prenantes.
  • Permet de lutter contre le travail illégal25;
  • Respecte les grandes lignes de notre régime de relations de travail fondé sur l’autonomie collective26 en permettant à l’État de jouer un rôle d’« arbitre » (en autorisant l’extension juridique des conventions collectives) sans s’immiscer dans les relations entre les parties patronale et syndicale toujours responsables de négocier les conditions de travail.

Notes de bas de page

21 Assemblée nationale, Débats de l’Assemblée législative, 18e législature, 3e session, vol. 1, séances du 9 janvier au 8 mars 1934, le 8 février, p.202 (M.Arcand).

22 Sauf exception du secteur automobile, voir explications, Supra, note 20.

23 Travail Québec (2014). Rapport sur la consultation relative à la Loi sur les décrets de convention collective, juin, p.6. http://www.travail.gouv.qc.ca/fileadmin/fichiers/Documents/decrets_cc/Rapport_sur_la_revision_de_la_LDCC.pdf, consulté le 13 juillet 2021.

24 Supra, note 17, p.65.

25 Bernier, Jean (2018). « Vers un véritable régime d’extension des conventions collectives », Le régime des décrets de convention collective au Québec – Quel avenir?, J.Bernier, éd. Montréal : Éditions Yvon Blais, p.129.

26 Verge, P., Trudeau, G., & Vallée, G. (2006). Le droit du travail par ses sources. ÉditionsThémis; Arthurs, H. W. (1996). Labour law without the state. U. Toronto LJ, 46, 1.

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