Gustave Francq
Gustave Francq 1891 – 1952
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On trouvera ci-après le condensé d’un compte rendu de Georges Massé, professeur d’histoire à l’Université du Québec à Trois-Rivières, sur la biographie de Gustave Francq publiée par Éric Leroux sous le titre : Gustave Francq. Figure marquante du syndicalisme et précurseur de la FTQ, VLB Éditeur, 2001.
Ce texte s’inspire de l’excellente biographie qu’un jeune historien, Éric Leroux, vient de consacrer au syndicaliste Gustave Francq. Fils de Benoît Francq et de Henriette-Julie-Marie-Anne Crick, Gustave Francq est né à Bruxelles en 1871. Il émigre au Canada en 1886 et mène, jusqu’en 1900, une «vie de nomade.» Cette expression, un peu exagérée, a le mérite de rendre compte des pérégrinations de Francq qui, à l’instar de beaucoup d’immigrants, arpente le territoire d’accueil à la recherche d’un emploi susceptible d’améliorer son sort. Peu de temps après son arrivée à Québec, il occupe un emploi comme apprenti-typographe et même s’il n’a pas terminé son apprentissage, il obtient, en décembre 1887, sa carte de l’Union typographique de Québec. Il perd son emploi suite au déclenchement de la grève des typographes le 2 janvier 1888. Dès lors, il quitte la ville de Québec où il revient dès l’année suivante ; puis, ayant obtenu sa carte de citoyen britannique, en février 1891, il se marie avec Léda Fournier en septembre. Un an plus tard, il émigre aux États-Unis, qu’il avait connus en 1888 lors d’un bref séjour à Rouse’s Point. Il s’installe à Lowell, au Massachusetts, où naissent trois de ses enfants avant de retourner à Bruxelles, en 1896. Il roule sa bosse en Europe où il occupe plusieurs emplois de typographe tant en Belgique qu’en France et en Allemagne. Puis il regagne le Canada en 1900 et s’installe définitivement à Montréal où il deviendra une figure marquante de la scène syndicale et du Parti ouvrier. Fort des expériences acquises dans les milieux typographiques, il fonde en 1902 l’Imprimerie Mercantile, dont il assumera la direction jusqu’en 1949. Cette entreprise va imprimer une pléiade de journaux ouvriers. Elle est avantagée par l’étiquette syndicale que lui accorde l’Union typographique Jacques-Cartier, section locale 145, dont Francq devient membre en 1902. Les nombreuses activités syndicales dont Francq s’acquitte avec beaucoup de conviction et de verve en font l’un des plus ardents défenseurs du syndicalisme international au Québec dans la première moitié du XXe siècle. (…) La plate-forme politique adoptée par le Congrès des métiers et du travail du Canada (CMTC) en 1898, et son élargissement en 1921, est avant-gardiste. Qu’on en juge : instruction gratuite, journée de travail de huit heures, semaine de six jours, inspection gouvernementale de toutes les industries, salaire minimum décent selon les régions, nationalisation des services publics, abolition du travail des enfants de moins de 14 ans, arbitrage des conflits de travail. À ces mesures les plus significatives s’ajoutent, en 1921, l’assurance-chômage, les pensions de vieillesse et l’assurance-maladie. Si Francq est étranger au programme de 1898, le CMTC lui est en partie tributaire du programme de 1921 qu’il développe dans ses fonctions syndicales et dans le journal Le Monde ouvrier, qu’il fonde en 1916 et qu’il dirige durant un quart de siècle. Ce journal est aujourd’hui l’organe officiel de la FTQ Francq déborde les questions sociales et demande à maintes reprises des réformes du système électoral, en plus de se faire le défenseur du vote des femmes. En outre, il relance l’idée de l’instruction gratuite et obligatoire que les syndicats internationaux réclament sans succès depuis 1892, la création d’un ministère de l’Éducation et l’uniformité des manuels scolaires. Les manuels variant d’une commission scolaire à l’autre entraînent des coûts supplémentaires aux enfants d’ouvriers qui déménagent souvent à cette époque, d’autant que l’Île de Montréal est alors divisée en une trentaine de commissions scolaires. Le directeur de la Bibliothèque municipale de Montréal, Paul-G. Martineau, et le journal Le Pays sont les seuls à le supporter sur cette question des manuels scolaires. Signalons que Francq est l’imprimeur de ce journal et qu’il ne craint pas les foudres de Mgr. Bruchési qui condamne Le Pays en 1912. Pour Francq, «un peuple est fort quand il sait lire, quand il sait lire un peuple est grand.» C’est un ardent avocat d’une réforme de l’éducation qui lui apparaît incontournable. Une Commission royale d’enquête sur l’éducation est mise sur pied en 1909, résultat des pressions conjointes de syndicalistes internationaux et de libéraux radicaux. En fait Francq avait noué des liens avec des membres de l’aile progressiste du Parti libéral dont Godfroy Langlois, rédacteur en chef de La Patrie (1885-1903) puis du Canada (1903-1910), un ami personnel de Francq. À la barre du journal Vox Populi, Francq appuie les idées que Langlois formule à propos des réformes en éducation. C’est aussi l’occasion pour le Parti ouvrier de déposer un véritable manifeste politique. Les propositions qu’il met de l’avant en matière d’éducation ont pour conséquence d’accélérer le battement du tambour nationaliste et cléricaliste canadien-français qui condamne les chefs ouvriers et Francq, en particulier, qu’on qualifie de franc-maçon et d’athée imbu des idées révolutionnaires et anticléricales du vieux monde. Manifestement, le syndicaliste se met à dos une partie de la société bien-pensante canadienne-française qui réprouve de façon véhémente l’intervention des leaders syndicaux dans leur chasse-gardée de l’éducation et de la santé. Les premiers syndicats catholiques emboîtent le pas au clergé sur ces questions. L’anathème social n’empêche pas le syndicaliste Francq de poursuivre ses récriminations qu’il pousse jusqu’à la réclamation de la séparation de l’Eglise et de l’État. Pourtant il n’est ni athée ni agnostique. Par contre, il est franc-maçon. Membre de la Loge l’Émancipation de 1908 à 1910, il fonde alors la loge Force et courage. Les membres réguliers de cette loge sont peu nombreux, jamais plus d’une dizaine en moyenne par année, mais les ouvriers en constituent la moitié des effectifs. Frnacq n’est pas socialiste non plus. Il semble qu’il s’abreuve des idées sociales défendues par le Parti radical français. Il partage notamment des idées analogues sur la question de la propriété privée et diffère des socialistes qui «veulent s’approprier l’ensemble des moyens de production». Francq juge qu’il ne convient pas de remettre en cause le principe de la propriété individuelle. Il est également favorable au coopératisme de même qu’à un interventionnisme de l’État dans le domaine des relations de travail. Francq estime aussi que la langue française n’a pas la reconnaissance qu’elle mérite. Il est un fervent promoteur du français dans les instances syndicales de la Fédération américaine du travail (FAT) et du CMTC. (…) Il n’est pas facile de manier ce genre qu’est la biographie historique, surtout quand il s’agit d’un contemporain qui nous prive du recul nécessaire à une juste évaluation de son œuvre, mais Éric Leroux s’en tire très bien. Les descriptions sont parfois redondantes d’un chapitre à l’autre, mais elles ont le mérite de contextualiser la vie du personnage. Il fallait mettre en valeur ce combattant qui meurt en 1952, à l’âge de 80 ans, puisqu’il accouche d’une pensée sociale qui accompagne et jalonne le mouvement ouvrier durant un demi-siècle. Il est impératif de lire cette biographie parce qu’elle met de la chair sur les analyses conventionnelles de l’histoire québécoise du vingtième siècle. Leroux est également l’auteur d’un volume paru en 2001, dans la collection «Études et documents» du Regroupement des chercheurs en histoire des travailleurs québécois, sous un titre évocateur : La pensée de Gustave Francq, syndicaliste et réformateur social. Textes choisis, 1905-1948. Ces textes, puisés en quasi totalité dans Le Monde ouvrier, illustrent sa pensée et témoignent de son engagement social et syndical Nous terminons ce compte-rendu d’une très bonne biographie mettant en valeur une « figure marquante du syndicalisme et précurseur de la FTQ» au moment même du décès de Monsieur Louis Laberge, qui présida les destinées de cette centrale québécoise de 1964 à 1991. Sans céder à la consécration hâtive de ce leader syndical, on peut énoncer, à la suite de Louis Fournier, que Laberge est incontestablement une figure marquante du syndicalisme québécois et canadien de la deuxième moitié du vingtième siècle. |