2019.05.07
2019.05.07
Les aides familiaux résidants en danger
Lettre d’opinion, dont la FTQ est signataire, parue dans Le Devoir le 6 mai 2019.
Monsieur Simon Jolin-Barrette, ministre de l’Immigration, en prenant la décision d’annuler 18 000 dossiers de demandes d’immigration, vous choisissez de placer en situation de précarité et de vulnérabilité de nombreuses personnes qui travaillent déjà au Québec. Parmi ces personnes, il y a celles qui sont venues s’installer ici dans le cadre du Programme des aides familiaux résidants (PAFR). Ces quelque 140 travailleuses, qui offrent une contribution importante à la société québécoise en s’occupant de nos enfants, de nos aînés et de nos personnes en situation de handicap, n’auront pas de réel accès à la résidence permanente une fois votre projet de loi adopté.
Le Programme des aides familiaux résidants a été établi dans le but de pallier une pénurie d’aides familiaux résidants sur le marché du travail. En échange de leur apport au marché du travail canadien et québécois, les travailleuses peuvent demander la résidence permanente. Il s’agit donc d’une entente très simple : l’aide familiale résidante doit être employée comme aide familiale pendant au moins 24 mois (ou 3900 heures sur une certaine période de temps), suite à quoi elle peut présenter une demande de résidence permanente au gouvernement fédéral. En vertu de l’Accord Canada-Québec en immigration, c’est le gouvernement du Québec qui détient le pouvoir de sélectionner l’immigration économique. Même si ces aides familiales ont été admises en fonction d’un programme qui mène à la résidence permanente octroyée par le gouvernement fédéral, le gouvernement provincial doit obligatoirement les sélectionner et émettre un Certificat de sélection du Québec (CSQ), ce qui leur permet de solliciter la résidence permanente. En d’autres mots, pas de CSQ, pas de résidence permanente.
Or, vous avez décidé de changer les règles du jeu en cours de partie. Ces travailleuses, qui ont dépensé une part importante de leurs maigres salaires dans des démarches d’immigration n’auront, dans les faits, que très peu de chance d’obtenir la résidence permanente si leurs dossiers ne sont pas traités avant l’adoption de votre projet de loi. Les options qui s’offriront alors à elles, ARRIMA ou le Programme de l’expérience québécoise (PEQ), ne sont pas adaptées à leur situation. À la fin de leur permis de travail temporaire, ces travailleuses risquent de se retrouver sans statut migratoire et n’auront le choix qu’entre l’illégalité et le rapatriement.
Nous soulignons, Monsieur le ministre, qu’il est ici question de personnes qui ont souvent quitté familles, enfants et amis pour venir travailler au Québec dans des conditions précaires, sans bénéficier des mêmes droits que d’autres travailleurs et travailleuses. Certaines normes du travail, comme celle de la semaine de 40 heures, ne s’appliquent pas à leurs emplois. Elles doivent s’inscrire elles-mêmes à la CNESST et en payer entièrement les cotisations, tant la part de l’employée que celle de l’employeur. De plus, comme elles sont dans l’obligation de résider chez leurs employeurs, leur isolement et leur connaissance limitée des normes en vigueur en font des proies faciles pour les gens mal intentionnés et les agences de placement frauduleuses.
Dans un contexte de pénurie de main-d’oeuvre et de précarisation de nos services publics en petite enfance et en soins à domicile, ces travailleuses contribuent énormément à la société en s’occupant des enfants, des aînés et des personnes en situation de handicap. Leur travail représente une économie importante pour l’État québécois et désengorge les hôpitaux, CHSLD et autres services publics. Elles sont venues ici en croyant qu’elles auraient un jour accès à la résidence permanente et ont suivi toutes les règles qui leur étaient imposées.
Nous faisons appel, Monsieur le ministre, à votre humanité autant qu’à votre bon sens en vous demandant de traiter rapidement tous les dossiers des aides familiales résidantes. Comme toutes les Québécoises et les Québécois, ces femmes rêvent d’un meilleur avenir pour elles et leurs familles. Elles contribuent déjà activement à notre société et ne méritent pas de faire les frais d’une promesse électorale qui brise l’engagement que notre société a pris envers elles. Nous vous demandons d’agir.
Signataires:
- Luc Allaire, président du Centre International de Solidarité Ouvrière (CISO)
- Françoise David, ex-porte-parole de Québec solidaire et ex-députée de Gouin
- Stephan Reichhold, directeur général de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI)
- Daniel Boyer, président, FTQ
- Centre des travailleurs et travailleuses immigrants (CTI)
- PINAY.