2004.04.12
2004.04.12
La garde côtière, une microsociété flottante – La vie à bord : entre le travail et le domicile
L’hiver tire à sa fin. C’est la période de l’année la plus occupée pour les membres de l’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC-FTQ) qui travaillent à bord des brise-glace et des aéroglisseurs sur le fleuve Saint-Laurent.
L’un deux, le Martha L. Black, est amarré au port de Trois-Rivières. C’est là qu’il est affecté durant l’hiver mais son port d’attache est Québec. C’est un brise-glace de 83 mètres, construit en 1986, qui sert au balisage mais aussi au ravitaillement des opérations de construction ou d’entretien des phares et des tours radio. Mais sa principale mission est le mouillage, l’entretien et l’enlèvement des bouées d’été et d’hiver, grâce à un puissant mat de charge pouvant supporter jusqu’à 20 tonnes. Une seule bouée peut peser jusqu’à 2 250 kilos.
Le navire est aussi muni d’un pont d’envol qui permet d’avoir un hélicoptère à bord pour les opérations de surveillance des glaces dans la Voie maritime, notamment.
Les membres d’équipage
Le Black, comme on l’appelle familièrement à bord, accueille un équipage de 25 personnes. Sous la responsabilité du commandant et des autres officiers, l’ensemble des marins veillent aux opérations et à l’entretien du navire.
«Un navire, c’est une micro-société, explique Julie Gagnon, «steward» ou commis. Nos tâches sont toutes complémentaires et, à bord, nous sommes très autonomes». Son travail relève du service d’hôtellerie : entretien de la salle à manger de l’équipage et des cabines des officiers.
Pour Julie et les autres membres de l’équipage, la vie à bord c’est 28 jours consécutifs de 12 heures de travail. «Quand on est au port, on peut aller à terre, faire des courses personnelles ou aller à la maison si on demeure dans la région. Mais quand le bateau est sorti ou pour ceux qui sont trop loin de chez eux, c’est 24 heures sur 24 à bord.»
L’horaire : lever à 5h30 et travail jusqu’à 19h30 avec deux heures de repos pour les trois repas et les pauses. Suivent de 28 jours de relâche. Pendant qu’une équipe est à bord, l’autre est en congé. Le délégué syndical insiste pour dire qu’il ne s’agit pas de vacances : «C’est une période de congé mais il faut toujours être disponible en cas d’urgence, précise Paul Goulet. On ne sait jamais si on sera rappelé pour remplacer quelqu’un de malade, par exemple.»
Il est d’ailleurs difficile de planifier des vacances. «C’est un aspect de notre emploi que nous trouvons difficile», dit Paul Goulet qui est timonier. Son travail consiste principalement à garder le cap et à surveiller la course du navire lorsqu’il est en déplacement. D’autres tâches l’attendent lorsque le Black est au port. Par exemple, de 8h à midi, il sera de quart sur la passerelle à répondre au téléphone. De midi à 16h, c’est le travail de pont (entretien et tâches diverses). Après une relâche, retour sur la passerelle de 20h à minuit pour les rondes de surveillance. Quelquefois, il guide un visiteur à bord. «Le Black, c’est un domicile en même temps qu’un lieu de travail. Les visites de famille sont permises en tout temps.»
Du personnel spécialisé et qualifié
Le personnel d’un navire de la garde côtière est formé et entraîné pour intervenir dans plusieurs situations d’urgence : premiers soins, sauvetages, lutte contre les incendies, urgence environnementale. «Nos membres d’équipage sont parmi les plus qualifiés au monde», dit fièrement Richard Coté, leur porte-parole syndical. Il est vice-président de l’Union canadienne des employés de transport, un des quinze éléments de l’Alliance.
Le matin du 26 février, par exemple, le Black est sorti à 5h pour déglacer le port de Bécancour et permettre à un bateau d’y accoster. De retour à Trois-Rivières à 8h, il n’a plus bougé de la journée. Mais l’hélicoptère a fait deux tournées d’observation du lac Saint-Pierre pour signaler le mouvement des battures et faire ses recommandations à l’opérateur de l’aéroglisseur qui cassait les glaces arrêtées par les piliers du pont Laviolette.
Richard Coté représente quelque 450 personnes des sections locales 10109 (base de la garde côtière de Québec), 10117 (base des aéroglisseurs de Trois-Rivières) et 10122 (base de la garde côtière de Sorel). Ses membres sont des salariés de Pêches et Océans Canada qui travaillent aux services administratifs, aux services techniques (soudeurs, machinistes, menuisiers), à l’entretien des bouées, ou encore comme membres d’équipage des navires, comme ceux et celles du Martha L. Black.
Au Québec, la garde côtière couvre 2 600 milles marins (près de 4 725 kilomètres) de côtes sur les deux rives du Saint-Laurent, entre le détroit de Belle-Isle et Montréal, incluant les Îles-de-la-Madeleine et la baie de Gaspé.
Des coupures qui ont fait mal
Côté syndical, Richard Côté a certains griefs. ««Depuis 1995, la garde côtière est passée de Transports Canada à Pêches et Océans Canada. C’est là que les coupures ont commencé, jusqu’à 50 % de la flotte de navires, c’est-à-dire environ 40 % des marins. On a tellement coupé dans les programmes de la garde côtière qu’à certaines périodes de l’année, nous pouvons à peine respecter nos responsabilités, affirme-t-il. Nous sommes vulnérables, particulièrement en ce qui concerne la recherche et le sauvetage dans le golfe Saint-Laurent.»
Pêches et Océans Canada a même annoncé d’autres coupures de poste qui toucheront largement la garde côtière. «On envoie les équipages en vacances forcées, les navires restent attachés au quai parce qu’on a pas d’argent pour l’essentiel», déplore le négociateur syndical. Il donne comme exemple le prix du diesel qui est passé de 28 cents à 42 cents le litre dans les trois dernières années. «Une augmentation d’un cent le litre coûte 750 000 $ de plus par année au gouvernement. En 2002-2003, pour la seule région du Québec, nous avons subi une majoration de 450 000 $ du prix du diesel utilisé pour nos activités.»
Des contraintes qui ne facilitent en rien des négociations…
La garde côtière est équipée pour rendre une multitude de services maritimes : – le balisage, si essentiel à une navigation sécuritaire – le déglaçage – l’escorte des navires dans la Voie maritime du Saint-Laurent – la patrouille, la recherche et le sauvetage – le contrôle des inondations – la recherche scientifique sur la qualité de l’eau, la faune et la flore marines – l’intervention en cas d’accidents maritimes, qu’il s’agisse d’un échouage, d’une collision de navires ou d’un déversement – les opérations dans l’Arctique pour assurer la souveraineté des eaux canadiennes |
Qui est Martha? Née à Chicago en 1866, Martha L. Black est une figure légendaire de la ruée vers l’or du Yukon, à la fin du 19e siècle. À l’été 1900, Martha en devient la première entrepreneure lorsqu’elle y établit un moulin hydraulique de prospection et une scierie. En 1904, elle épouse son avocat, George Black, natif du Nouveau-Brunswick, et prend la citoyenneté canadienne. Pendant que son mari fait de la politique avec les Conservateurs, Martha s’implique aux plans social et culturel. Au cours de la Première Guerre mondiale, elle voyage avec les troupes, seule femme parmi 2 000 soldats. Cette pionnière suivra les traces de son mari en politique. En 1935, à 70 ans, Martha fait campagne à la place de son mari malade. Elle conserve le siège aux Conservateurs malgré une vague libérale. Elle sera députée jusqu’en 1949 et s’éteindra en 1957, à 91 ans. |