2016.06.09
2016.06.09
Visons 15$ l’heure… avant 2037
Lettre d’opinion de Daniel Boyer et de Serge Cadieux, respectivement président et secrétaire général de la FTQ, publiée dans La Presse+ le 9 juin 2016.
La recherche de la dignité de chaque individu fait partie de l’identité de notre société et en fait un exemple pour le monde. C’est pourquoi nous trouvons naturellement choquant que nos aînés en perte d’autonomie ne reçoivent pas des soins d’hygiène appropriés ou que des adultes travaillant à temps plein ne parviennent plus à nourrir convenablement leurs enfants.
Nous avons écouté avec attention le débat parlementaire des dernières semaines concernant l’idée d’augmenter le salaire minimum à 15$ l’heure. Lancé par une motion de Québec solidaire, le débat a permis aux différents partis présents à l’Assemblée nationale de donner plus de détails sur leurs positions respectives à l’égard du salaire minimum. Nous nous réjouissons du fait qu’un premier consensus est rapidement apparu : le salaire minimum actuel est trop bas!
La ministre du Travail, Dominique Vien, a fièrement souligné que c’était un gouvernement libéral qui avait procédé à trois hausses consécutives de 0,50$ à la fin des années 2000, une progression inégalée dans l’histoire récente. Rappelons qu’à la fin de ces trois hausses, l’Institut de la statistique du Québec a vérifié si le nombre d’emplois ou le nombre d’heures travaillées avaient diminué. Résultat? Aucune turbulence à signaler.
La ministre serait certainement intéressée de savoir que c’est en se basant sur cette absence de turbulence que la FTQ propose un plan de hausse de 0,70$ par année pour atteindre 15$ l’heure sur un horizon maximal de 6 ans. D’un côté, il faut penser au choc que représenterait une hausse immédiate de 10,75$ à 15$. De l’autre, si nous attendons trop longtemps, atteindre 15$ de l’heure ne voudra plus dire grand-chose. En gardant le rythme actuel des hausses d’environ 0,20$ par année, nous atteindrions 15$ l’heure en 2037! En ce sens, il faut procéder à des hausses importantes sur un horizon à court terme. Notre proposition est raisonnable et permet un important rattrapage du pouvoir d’achat des plus bas salariés.
Est-ce trop demander? Malgré la croissance économique du Québec des 40 dernières années, la valeur en dollar constant du salaire minimum d’aujourd’hui demeure inférieure à ce qu’elle était à la fin des années 1970.
Un rattrapage est nécessaire dès maintenant, mais il faut également s’inquiéter de la logique qui nous a conduits à la situation actuelle. La formule utilisée par le gouvernement du Québec verrouille le salaire minimum à 47 % du salaire horaire moyen. D’une part, cette formule s’appuie sur des hypothèses de pertes d’emplois qui ne se sont pas avérées dans la réalité. D’autre part, elle mène à des augmentations annuelles trop faibles qui maintiennent dans la pauvreté des personnes qui travaillent pourtant à temps plein.
Il faut remplacer cette formule par un calcul qui offre dignité et viabilité économique aux plus bas salariés. Le concept de « salaire viable » proposé par l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) s’approche de cette idée. Le salaire viable tient compte du seuil de faible revenu et des programmes sociaux et promet aux gens une petite marge de manœuvre supplémentaire pour qu’ils puissent vivre plutôt que survivre.
Cette idée de la viabilité n’est pas seulement bénéfique pour les individus et leurs familles. Elle l’est aussi pour les communautés concernées. L’augmentation du salaire minimum alimente la circulation de l’argent parce que les bas salariés dépensent leurs revenus dans leur communauté plutôt que de le placer dans des paradis fiscaux.
Les travaux de l’IRIS situent le salaire viable de l’année 2015 à un peu plus de 15$ l’heure. Un salaire en dessous duquel travaille une personne sur quatre au Québec. Cette proportion est inacceptable pour une société développée comme la nôtre. Il faut remettre la dignité des personnes au centre de notre politique de salaire minimum. Celle-ci doit permettre de lutter contre l’appauvrissement de celles et ceux qui sont au bas de l’échelle.
Tout le monde mérite un salaire décent. Tout le monde mérite un salaire viable. Tout le monde mérite minimum 15$ l’heure.