2003.07.15
2003.07.15
SYNDICATS ET COOPÉRATIVES – Quand Alphonse et Gustave rêvaient…
Alphonse Desjardins et Gustave Francq partageaient une vision mutualiste des rapports sociaux comme fondement de l’émancipation collective et nationale.
Alphonse Desjardins s’inspira des banques populaires qui existaient alors en Europe, dans la mouvance du catholicisme social, pour lancer la première caisse populaire à Lévis, en 1900.
Gustave Francq a tiré son intérêt pour le modèle coopératif de ses affinités avec son pays natal, la Belgique. Par ailleurs, il puisait aux courants libéral et radical son projet de réforme sociale, fondé sur la coopération entre les véritables producteurs de la richesse, regroupés en syndicats, partis et mutuelles.
Dès la fin du 19e siècle en Amérique du Nord, les Chevaliers du travail faisaient du modèle coopératif un élément de leur programme politique, tout comme les militants syndicaux du Parti ouvrier de Montréal. Leur but était «de combattre toute politique adverse aux intérêts des travailleurs et de la société, et d’améliorer le système d’économie politique actuel par une politique d’économie sociale et coopérative conforme à l’intérêt général et au bien de tout le pays.»
Un exemple belge
Au tournant du 20e siècle, Francq se fait le promoteur du mouvement coopératif, fort probablement impressionné par des institutions comme la Maison du peuple de Bruxelles, fondée en 1882, et devenue une puissante force économique et sociale.
En 1906, dans le journal Vox populi qu’il rédige et édite à Montréal, Gustave Francq se fait le promoteur des coopératives de consommation et de production : « Quand donc les ouvriers comprendront-ils quelles ressources immenses leur procureraient les sociétés coopératives de production et de consommation ? C’est une faute énorme de ne pas profiter de ce moyen si simple et si pratique d’améliorer sa position et qui serait un des meilleurs leviers d’émancipation sociale.»
Pour Francq, la mise sur pied de magasins coopératifs permettrait aux travailleurs d’obtenir une réduction de 30 %, en moyenne, sur leurs achats réguliers. Le financement nécessaire à la création de ces magasins pourrait provenir de l’épargne des ouvriers placée dans des caisses d’épargne ou des banques coopératives, gérées par les organisations syndicales. Bref, des institutions financières gérées par les travailleurs et qui profiteraient à la classe ouvrière.
Cette même année 1906, Alphonse Desjardins soumet un projet de loi à la Chambre des communes à Ottawa concernant les sociétés coopératives. Il reçoit l’appui du député ouvrier de Maisonneuve, Alphonse Verville, représentant de la section locale 144 des plombiers et alors président du Congrès des métiers et du travail du Canada (CMTC). Verville prononce un discours en faveur des coopératives et donne son «entier appui» au projet de loi.
La première caisse populaire de Montréal
Pour promouvoir l’idéal de la coopération, le CMTM organise, le 29 mars 1908, une assemblée publique à laquelle il invite Alphonse Desjardins à titre de principal conférencier. On réunit plus de 400 personnes, en grande partie des syndicalistes.
On décide alors de s’associer à Alphonse Desjardins pour fonder la première caisse populaire de Montréal. Le 13 juin 1908, les «unionistes» jettent les bases de la nouvelle organisation en élisant le premier bureau de direction de la Caisse populaire d’épargne et de crédit de Montréal. Le charpentier-menuisier Ovide Proulx, membre de la section locale 134 de la Fraternité unie des charpentiers-menuisiers d’Amérique (FUCMA), obtient la présidence, tandis que Gustave Francq occupe la vice-présidence. Louis Lefebvre est nommé secrétaire-trésorier.
En juillet 1910, la Caisse populaire de Montréal élargit son champ d’action par l’ouverture du magasin coopératif L’Économie, situé rue Saint-Denis près de Rachel. Cette initiative revient à Louis Lefebvre qui administre dorénavant la caisse et le magasin. L’Économie avait été créée à l’insu d’Alphonse Desjardins, qui déconseillait aux caisses de participer à de telles aventures jugées risquées.
La Caisse populaire et le magasin coopératif cessent d’ailleurs leurs activités en janvier 1912 mais contrairement à ce que croyait Desjardins, c’est l’effondrement de la Caisse qui a entraîné le magasin dans sa chute, et non l’inverse.
Saint-Hyacinthe
Francq n’abandonne pas la partie pour autant et continue, dans Le Monde ouvrier, à épauler le mouvement coopératif. Lorsque les ouvriers de Saint-Hyacinthe fondent une boulangerie coopérative en 1917, le journal publie plusieurs articles en vantant les mérites. Francq prononce une conférence à Saint-Hyacinthe sur les bienfaits de la coopération comme moyen de combattre la hausse du coût de la vie. Il conseille même d’étendre ces activités à d’autres branches du commerce, comme le charbon et la glace. C’est dans la vente de ces produits de première nécessité que le peuple s’est fait le plus exploiter jusqu’ici. La création de coopératives est la seule manière de «ramener les trustards à la raison».
En 1924, il reprend à son compte dans Le Monde ouvrier les politiques adoptées par la Fédération américaine du travail (FAT) aux États-Unis concernant la mise sur pied d’un programme d’assurance-vie collective pour ses membres, de même que la création de banques ouvrières.
100 ans plus tard… maîtres de nos avoirs!
Après plus de soixante ans d’existence, les caisses d’économie fondées par les syndicats se sont restructurées et se sont jointes à une seule et même entité, la Fédération des caisses Desjardins du Québec. C’est ainsi qu’est née, en juillet 2001, notre Caisse d’économie Desjardins des travailleuses et travailleurs unis. D’autres fusions sont en cours, tant par secteur d’activité économique que par affiliation syndicale. Enracinées dans les milieux de travail où elles exercent leur action, proches de leurs membres, associées aux mêmes valeurs d’entraide et de solidarité que la FTQ, ces caisses d’économie constituent une promesse d’avenir et une solution gagnante pour les travailleurs et les travailleuses.
Le rêve passe… de génération en génération.
Note : Nos remerciements fraternels à Éric Leroux, historien, pour le coup de main donné au Vieux Gustave pour cette chronique.