CHAPITRE 3

Les idées dangereuses des nouvelles droites


Journée de réflexion sur les nouvelles droites

Avant de faire des voix, l’Extrême droite gagne les esprits.

– Michel Winock12

Comme l’exprime Michel Winock, avant de penser à gagner des élections, c’est d’abord sur le plan des idées que s’engage la lutte de l’extrême droite. De manière générale, il semblerait que ce soit également le cas des nouvelles droites. C’est pourquoi, le processus est qualifié de «guerre culturelle». Il s’agit d’une stratégie qui cherche à influencer et transformer les valeurs, les croyances et les normes de la société pour qu’elles reflètent et soutiennent certaines idées et idéologies.

L’approche est souvent centrée sur des sujets très polarisants tels que l’immigration, les droits des minorités, l’identité de genre. Comme mentionné antérieurement, la montée des droites s’est beaucoup nourrie des échecs du néolibéralisme, des crises économiques et du sentiment d’abandon des «classes populaires» par la gauche. Pablo Stefanoni13 observe que ce contexte a fait surgir une sorte de renversement des rôles pour le moins surprenant : la rébellion a progressivement été récupérée par les droites, qui s’approprient maintenant le discours révolutionnaire contre les dysfonctionnements du système. Les nouvelles droites défient ainsi la gauche sur son propre terrain, celui de l’indignation et de la révolte, en se présentant comme une forme de révolution idéologique inédite. Si cette «guerre culturelle» menée par les nouvelles droites gagne en influence, c’est qu’elle n’est pas seulement portée par des groupes marginaux, mais aussi de plus en plus par des personnes influentes du commentariat québécois qui bénéficient de larges tribunes sur les réseaux sociaux et dans les médias, et qui cherchent à banaliser leurs idées au sein de l’espace public.

Les ressorts de la «guerre culturelle» menée par les nouvelles droites

Les discours des nouvelles droites portent sur des thèmes très variés, ce qui constitue une de leurs forces. Elles utilisent n’importe quel sujet d’actualité pour faire passer leurs idées et sont très habiles pour créer des polémiques. C’est ce qui explique que la cohérence entre ces discours est parfois difficile à saisir puisqu’ils demandent un travail constant d’analyse et d’interprétation. Avant de plonger dans les formes que peuvent prendre leurs discours, prenons donc un instant pour décrypter les stratégies qui les façonnent.

Exploiter les peurs et les insécurités en jouant sur la corde de l’émotion

Pour les chercheurs Anne-Cécile Robert14 et Christian Godin15, le succès des discours des nouvelles droites s’explique en partie par leur capacité à jouer sur les émotions. Elles excellent dans l’art de canaliser et d’amplifier les peurs existantes au sein de la population, et peuvent même aller jusqu’à en créer de nouvelles de toutes pièces. Ces peurs peuvent être économiques, comme la crainte de perdre son emploi au profit des personnes immigrantes, ou encore sécuritaires, notamment quant aux enjeux de criminalité. Ces mouvements exploitent aussi des peurs culturelles, centrées sur la préservation des traditions et des valeurs perçues comme menacées par le changement social. En utilisant ces émotions, les leaders de ces mouvements construisent des discours qui résonnent émotionnellement avec leurs publics cibles, et qui sont plus difficiles à contester par de simples faits ou une logique rationnelle.

Des boucs émissaires responsables des problèmes de la société

Les nouvelles droites ont également tendance à simplifier à l’excès des problèmes sociaux et économiques et à en attribuer la faute à des groupes spécifiques, souvent vulnérables. Les personnes immigrantes, les minorités en général, ou même les élites politiques sont régulièrement désignées comme des boucs émissaires. Cette tactique permet non seulement de dévier la responsabilité des vrais enjeux (comme les failles des politiques économiques ou les inégalités structurelles) mais aussi de consolider une base de citoyennes et citoyens contre un ennemi commun clairement identifié.

Stratégies de victimisation et renversement des rôles

Les discours des nouvelles droites adoptent souvent une rhétorique de victimisation, où ces groupes se présentent comme étant opprimés, que ce soit par les gouvernements progressistes, les médias traditionnels, ou les organisations de défense des minorités. Cette stratégie leur permet d’inverser les rôles traditionnels d’agresseur et d’opprimé, justifiant ainsi des mesures extrêmes présentées comme nécessaires pour la défense de la nation, d’un peuple ou d’un mode de vie. Dans la continuité de cette approche, les nouvelles droites s’ancrent la plupart du temps dans un populisme clivant, qui divise la population en opposant une prétendue élite corrompue au « vrai » peuple. Selon la Confédération européenne des syndicats (CES), l’extrême droite tend à dépeindre les syndicats comme faisant partie de cette élite déconnectée des réalités du monde ordinaire et des travailleuses et travailleurs. Cette représentation s’inscrit dans une stratégie plus large visant à délégitimer l’action politique des syndicats, comme nous le verrons plus loin dans notre analyse.

Des discours «caméléons» qui s’adaptent à chaque clientèle et pour chaque sujet

Si les discours des nouvelles droites trouvent un écho de plus en plus grand au sein de la population, c’est en partie parce qu’ils ont réussi à se renouveler avec un langage qui séduit par son côté irrévérencieux et sa prétendue nouveauté. Les nouvelles droites parviennent même à capter l’attention d’une partie de la jeunesse lasse de ce qu’elle perçoit parfois comme un discours moralisateur en provenance de la gauche. En France, le nouveau président du Rassemblement National, Jordan Bardella, a d’ailleurs acquis une certaine popularité auprès de la jeunesse française.

Le succès de ces discours s’explique en partie par l’offensive des nouvelles droites sur les réseaux sociaux utilisés par les jeunes, notamment Instagram et Tik Tok. Le chef du Parti conservateur du Canada, Pierre Poilievre, a d’ailleurs très bien intégré le fonctionnement de ces plateformes, qu’il exploite largement.

Au cours des derniers mois, le nombre de personnes abonnées à ses pages sur les réseaux sociaux a explosé, ce qui lui permet de s’adresser à un large électorat avec des messages ciblés sans passer par les médias traditionnels.

Les discours des nouvelles droites : les voix de la division

Après avoir décodé les stratégies utilisées par les nouvelles droites, plongeons maintenant dans les formes que prennent leurs discours. Bien que cela puisse faire grincer des dents, comprendre cette rhétorique est essentiel pour démêler les tactiques employées et savoir comment mieux réagir face à ces idées.

L’immigration comme bouc émissaire à tous les problèmes de société

Les messages anti-immigration constituent un pilier central des nouvelles droites depuis longtemps : l’immigration serait une menace pour l’emploi, l’accès au logement, la sécurité, ou encore pour l’identité nationale. Prenons par exemple la crise du logement. Il est plus facile de blâmer l’augmentation du nombre de personnes immigrantes plutôt que les politiques gouvernementales qui ont laissé la situation se dégrader depuis des décennies. À ce sujet, plusieurs experts (Vivre en Ville, IRIS, SCHL) rappellent que l’immigration, tout comme d’autres facteurs conjoncturels tels que les taux d’intérêt ou l’inflation, contribue seulement de manière périphérique aux défis actuels de logement. Les véritables racines de cette crise sont structurelles, et relèvent plutôt de notre régime fiscal, du manque de planification urbaine et de la complaisance envers la spéculation immobilière. Par conséquent, attribuer la crise du logement principalement à l’immigration néglige les causes profondes et systémiques qui nécessitent des interventions à long terme.

Les partis d’opposition peuvent aussi utiliser ce type de discours pour critiquer la gestion actuelle du gouvernement, notamment en matière d’immigration et de résolution des crises structurelles. Néanmoins, il est intéressant de constater que dans son publidocumentaire sur l’«enfer du logement», Pierre Poilievre évite scrupuleusement de mentionner l’immigration – ce qui lui est d’ailleurs reproché par Maxime Bernier. Cela suggère son besoin de gagner le soutien des électeurs et électrices immigrés et illustre comment s’opèrent de telles stratégies de communication politique selon le contexte et les intérêts à défendre.

Les nouvelles droites font aussi fréquemment un amalgame entre immigration et insécurité, en présentant les personnes immigrantes non seulement comme des menaces à la cohésion sociale et culturelle, mais aussi comme des facteurs d’augmentation de la criminalité. Sur un site Web ultranationaliste québécois, on peut lire par exemple que certains individus, groupes ethniques ou races [sic] seraient naturellement prédisposés au crime et au mépris des lois, qu’ils auraient un tempérament plus agressif, une tendance plus marquée à la violence et des comportements plus impulsifs. Ils ne ressentiraient aucun remord pour leurs actions, poussés par un besoin immédiat de satisfaire leurs pulsions primaires, accompagné d’un désir de dominer les autres. En mettant l’accent sur une prétendue nature agressive des personnes immigrantes, ces discours contribuent à stigmatiser toute une population, renforçant les préjugés et la discrimination. Ils ignorent par ailleurs les racines socio-économiques profondes des problèmes, comme la pauvreté, le chômage, la marginalisation et les inégalités structurelles, qui sont des facteurs bien plus déterminants en matière de sécurité publique.

Certaines idéologies radicales des nouvelles droites accusent également l’immigration de contribuer à la crise climatique. Ces visions extrémistes ont mené à des actes de violence tragiques, comme en témoignent plusieurs tueries survenues en 2019 et 2022. Par exemple, Brenton Tarrant, qui a commis un attentat meurtrier en Nouvelle-Zélande en 2019, se décrivait comme un écofasciste et voyait dans l’immigration une cause du réchauffement climatique, qu’il liait à la surpopulation et à la dégradation de l’environnement, comme en témoigne le manifeste qu’il a rédigé avant de commettre cet acte : «L’immigration et le réchauffement climatique sont deux faces du même problème. L’environnement est détruit par la surpopulation. […] Il faut tuer les envahisseurs, tuer la surpopulation et ainsi sauver l’environnement.»

Ailleurs dans le monde…

En France, la responsabilisation des personnes immigrantes pour tous les problèmes de société a fait naître le concept de « préférence nationale », largement associé au Front National, rebaptisé Rassemblement National en 2018. Le concept a émergé dans les années 1970 et visait à accorder une priorité aux citoyennes et citoyens français sur les personnes étrangères en matière d’emploi, de logement social et d’aides sociales, en cas de compétences équivalentes entre les candidates et candidats français et les personnes étrangères.

À travers l’exercice de dédiabolisation du Rassemblement National entrepris sous la présidence de Marine Le Pen, le concept de « préférence nationale » a évolué vers celui de « priorité nationale ». Mais sous couvert d’une formulation plus acceptable, l’idée reste la même.

Aux États-Unis, dans son «Project 2025», le Heritage Foundation, organisation conservatrice américaine étroitement liée au Parti républicain, milite pour qu’il soit à nouveau possible de prioriser l’embauche de citoyennes et citoyens américains pour les projets majeurs d’infrastructure fédéraux et dans les secteurs d’emplois saisonniers, une pratique pourtant interdite depuis 1986.

Au Québec, malgré des discours parfois dérangeants, il n’existe pas de politique aussi ouvertement anti-immigrants. Cela dit, on a tout de même pu assister à certains de ces relents lorsque récemment, le gouvernement de la CAQ a demandé à la Cour d’appel de suspendre sa décision portant sur l’accès des demandeurs d’asile aux places de garde subventionnées.

Le grand remplacement

Les craintes selon lesquelles les personnes immigrantes accapareraient indûment des droits et services, au détriment du reste de la population vont aussi beaucoup plus loin, notamment à travers la théorie du «grand remplacement». Selon cette dernière, une élite mondialiste chercherait à remplacer les cultures et civilisations occidentales blanches par des populations non blanches, dont la culture serait jugée non assimilable.

Ces idées sont loin d’être nouvelles. Elles trouvent leurs racines dans le nationalisme français du début du 20e siècle, et ont été par la suite reprises et propagées par des mouvements néonazis, suprémacistes et d’extrême droite. Depuis une dizaine d’années, ces thèses ont été remises au goût du jour, notamment par Renaud Camus, et ont trouvé un écho plus large dans les médias et chez certains acteurs politiques qui se montrent hostiles à l’immigration.

Au Québec, même si aucun parti politique n’endosse officiellement la théorie du grand remplacement, n’empêche qu’elle circule largement dans l’espace public depuis le milieu des années 2010. Selon un rapport de 2022 de la Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violent, environ 15% des Québécois et Québécoises adhèrent à cette idée. Cette diffusion trouve un écho particulier au Québec où il existe une vulnérabilité liée à la peur d’un changement démographique qui pourrait mener à une disparition de l’identité culturelle et linguistique. Par exemple, un sondage révélait en 2016 que les Québécois et Québécoises surestiment grandement la proportion de musulmans dans la province, signe d’une anxiété face à un monde en transformation rapide. Depuis quelques années, on voit ainsi cette théorie apparaitre en sous-texte dans plusieurs chroniques évoquant le fait que notre peuple serait en danger à cause d’une «noyade migratoire» en passe de conduire à l’expulsion symbolique des Québécois et Québécoises francophones de leur propre pays.

Certains groupes plus radicaux n’hésitent d’ailleurs pas à faire la promotion de ce qu’ils appellent la «remigration», qui s’apparente ni plus ni moins à une déportation de masse. Sur un site Web ultranationaliste, on propose par exemple de déporter les adolescents racisés coupables de certains crimes et de révoquer leur citoyenneté, et ce, même s’ils sont nés au Québec. En quel cas, ceux-ci seraient expulsés dans le pays d’origine des parents. Des groupes d’extrême droite prônent ouvertement la remigration, notamment lors de manifestations. De tels propos sont particulièrement préoccupants car ils menacent directement les fondements mêmes de notre démocratie et du vivre-ensemble.

Le virage identitaire d’une frange du nationalisme québécois

La journaliste Francine Pelletier observe qu’au cours des dernières années, notamment depuis la « crise des accommodements raisonnables » qui a marqué un tournant sociopolitique au Québec, on assiste à un virage dans le discours et les propositions politiques, vers une résurgence du conservatisme. Ce mouvement est caractérisé par un nationalisme identitaire plus affirmé et assumé. Il faut souligner que la question de l’immigration résonne de manière singulière au Québec, souvent articulée autour de la préservation de l’identité québécoise et de la protection de la langue française. Il y a 35 ans, le documentaire Disparaître co-écrit par Lise Payette, mettait déjà en garde contre une immigration massive de cultures jugées trop différentes, craignant une dilution de l’identité francophone. Cette sensibilité profonde trouve ses racines dans l’histoire même du Québec où la défense de la langue française a été une constante face à des influences anglaises dominantes.

Dans ses statuts, la FTQ « assume les particularités du Québec et les aspirations des travailleurs et travailleuses québécois » tout en luttant activement contre toute forme de discrimination et en favorisant la justice sociale. Il est donc compréhensible, et nécessaire, que des efforts soutenus soient déployés pour protéger et défendre la vitalité de la langue française et de la culture québécoise. Toutefois, le nationalisme québécois, de manière générale, a pris un virage identitaire qui a fait naitre des glissements inquiétants dans le discours de certains chroniqueurs et chroniqueuses. Peut-être avez-vous déjà eu l’occasion de lire certains de ces textes qui associent, sans nuance, immigration et menace pour le Québec?

De façon plus subtile, ce type de discours se retrouve aussi dans la bouche de politiciens et politiciennes. Sans parler ouvertement d’un grand remplacement, Paul St-Pierre Plamondon associait récemment les cibles d’immigration établies par le gouvernement fédéral à une «charge offensive» contre le Québec. En février 2023, il affirmait également que l’arrivée des demandeurs d’asile par le chemin Roxham alimentait la montée des extrêmes politiques, incluant le racisme et la xénophobie. On se souvient aussi de la campagne électorale de 2022 durant laquelle François Legault annonçait fièrement qu’ « au Québec, c’est comme ça qu’on vit! ».

Lors du récent passage du premier ministre français Gabriel Attal au Québec, lequel s’est exprimé sur la question de la laïcité, François Legault rappelait également qu’il veut gouverner pour que «le Québec reste le Québec». Cette formule, écho lointain de théories provenant de l’extrême droite française, inspirées du « grand remplacement », illustre la manière dont ces idées gagnent en visibilité et en acceptation, témoignant d’une certaine progression de l’extrême droite dans la guerre culturelle. Dans ce contexte politique, il importe de demeurer vigilant sur la manière dont les discours sont formulés.

Convergences inattendues: la pandémie comme terrain de rencontre des nouvelles droites

Outre les questions entourant l’immigration, qui ont toujours été centrales dans les discours des droites radicales, la pandémie de COVID-19 a aussi renforcé la montée de nouvelles droites au Québec. Le contexte a engendré beaucoup d’incertitude et de peurs parmi la population et a créé un terreau fertile pour des mouvements qui ont exploité la situation de crise et les frustrations sociales afin de renforcer leurs discours radicaux et propager leurs idéologies. Cela a fait naître des alliances inhabituelles, voire étonnantes, entre des groupes qui a priori ne partageaient pas grand-chose, et qui ont trouvé un terrain commun dans leur méfiance envers les gouvernements et leur opposition aux mesures sanitaires. On a ainsi vu des extrémistes de droite, des libertariens et des évangéliques manifester côte à côte contre les mesures sanitaires liées à la pandémie.

Après la pandémie, de nouvelles cibles…

Depuis que les discussions autour de la COVID-19 et de la vaccination n’occupent plus le devant de la scène, les nouvelles droites se sont rabattues sur d’autres sujets de prédilection.

Identité de genre et drag queens

Les questions d’identité de genre, notamment concernant les personnes transgenres, touchent à des valeurs profondes et peuvent susciter de nombreuses interrogations. Il est tout à fait normal que de tels sujets suscitent des débats, car ils reflètent des changements significatifs dans notre perception des identités personnelles et collectives. Ces questions ne sont pas simples à aborder.

Tout en laissant place à la discussion, il est important de reconnaître que les personnes transgenres, les drag queens, les personnes se revendiquant non binaires, et de manière générale, toutes les personnes représentées sous la bannière des minorités sexuelles et de genre, sont très souvent les cibles de discours hostiles, voire carrément haineux, provenant des nouvelles droites. Ces groupes utilisent des arguments polarisants et exploitent des peurs infondées pour aviver les tensions sociales, comme les allégations associant les drag queens à la pédophilie, ou les affirmations selon lesquelles les personnes transgenres constitueraient une menace pour nos enfants et pour la société. Il convient de rappeler qu’en 2021, les personnes transgenres ou non-binaires représentaient ensemble 0,33% de la population canadienne.

La résurgence des mouvements anti-avortement

La montée des nouvelles droites fait également place à une résurgence inquiétante des mouvements anti-avortement, soutenus par des idéologies conservatrices et traditionalistes qui remettent en question et cherchent à réduire les droits en matière d’avortement. Ces groupes utilisent une variété de stratégies pour faire avancer leur cause, comme la législation restrictive, l’influence dans les sphères politiques, ou encore la propagation de désinformation autour de la santé reproductive. Ils cadrent leur lutte comme une question de «droits de l’enfant à naitre» tout en peignant l’avortement comme un symptôme de déclin moral et culturel. Ces mouvements voient, dans l’opposition à l’avortement, une manière de préserver un ordre social patriarcal et de réagir contre les avancées des droits des femmes. Un exemple notable de ce recul est la révocation de l’arrêt Roe v. Wade aux États-Unis par la Cour suprême en juin 2022, qui garantissait le droit constitutionnel à l’avortement depuis 1973. Ce recul majeur montre que les droits que l’on croyait bien établis se révèlent finalement fragiles face à l’assaut des nouvelles droites et illustre la nécessité de poursuivre les luttes féministes pour contrer ces tendances régressives.

Le fléau des influenceurs masculinistes

Cette montée des nouvelles droites s’appuyant sur un conservatisme moral trouve écho dans un autre mouvement préoccupant : l’émergence d’influenceurs masculinistes. Dans la veine de l’américain Andrew Tate, ces derniers estiment que les hommes vivent une crise de la masculinité principalement causée par le féminisme. Ils prônent des valeurs ultra conservatrices et diffusent des discours très pernicieux à l’endroit des femmes et des minorités. Le phénomène des masculinistes n’est pas nouveau au Québec. On se rappellera notamment du mouvement Fathers for Justice il y a une vingtaine d’années, qui militait pour les droits des pères en matière de garde d’enfants après une séparation. Le sociologue Francis Dupuis-Déri rappelle que les discours sur une prétendue crise de la masculinité émergent chaque fois que les normes de genre sont contestées par les femmes. Autrement dit, ces supposées crises masculines seraient en réalité des réactions à la perte de privilèges.

Mais le phénomène actuel des influenceurs masculinistes est plus inquiétant du fait qu’il est véhiculé par les réseaux sociaux et s’adresse surtout à des jeunes hommes qui trouvent en ces figures des sortes de mentors. Au Québec, des personnalités commencent à faire leur place, utilisant les réseaux sociaux et les chaines YouTube pour encourager une masculinité traditionnelle et stéréotypée qui résonne avec un public en quête de repères. Certains de ces influenceurs proposent des cours privés coûtant jusqu’à 20 000 $ par année pour apprendre à devenir un « homme alpha » et le « chef de la meute ». En valorisant des comportements dominants, voire agressifs, ces idées peuvent encourager des attitudes et des actes de violence, justifiés par une prétendue reprise de contrôle ou un leadership naturel.

Fait intéressant, qui reflète les liens qu’entretiennent les nouvelles droites entre elles : en 2022, les vidéos de Pierre Poilievre publiées sur ses réseaux sociaux étaient accompagnées du mot-clic caché #mgtow, acronyme de «Men Going Their Own Way», lui permettant d’apparaitre dans les réseaux antiféministes.

La guerre contre les wokes

Pour polariser les débats, les nouvelles droites vont également se présenter comme les gardiennes des valeurs traditionnelles défendant la civilisation occidentale face aux wokes qui sont dépeints comme des militants extrémistes qui chercheraient à détruire les traditions et à imposer une pensée unique. Cette stratégie vise non seulement à discréditer les perspectives progressistes ou inclusives, mais aussi à mobiliser un sentiment de menace contre ce qui est perçu comme une érosion des fondements culturels et sociaux traditionnels.

Toutefois, cette posture de défense des traditions cache souvent une forme de militance tout aussi engagée. Lorsque des chroniqueurs et des chroniqueuses de la radio ou de la presse écrite concentrent leur attention et leurs ressources sur des thématiques telles que l’identité de genre, la présence de drag queens à l’heure du conte, ou les droits des personnes transgenres, ils ne font pas qu’exprimer une opinion. Ils participent activement à la construction d’un discours qui cherche à imposer une vision de ce que la société devrait être en marginalisant certaines communautés. Ce faisant ils s’inscrivent, à leur façon, dans la guerre culturelle menée par les nouvelles droites.

Ainsi, la bataille culturelle de l’extrême droite ne se limite pas à une simple opposition idéologique aux mouvements jugés trop progressistes ou wokes. Elle se manifeste également par une volonté affirmée de dominer l’espace médiatique et public avec leurs propres formes de militance, dans le but de remodeler les normes sociales selon leurs propres termes. À travers une vision du monde qui divise et exclut, les nouvelles droites redéfinissent radicalement les idéaux collectifs et posent une menace directe au tissu démocratique. Cela suscite des inquiétudes quant au vivre-ensemble et à la cohésion sociale. Le mouvement syndical, fréquemment pris pour cible, est directement interpellé face à ces défis.