Grand dossier : La vie chère
Les syndicats ont un rôle à jouer
Dans ce dossier spécial, Le Monde ouvrier a choisi de braquer les projecteurs sur la crise de la vie chère : non seulement pour démystifier ces raccourcis faciles, mais pour explorer des solutions ambitieuses et nécessaires face à une situation aussi déplorable. Car il ne s’agit pas seulement de logements, mais d’un modèle de société qui dérape.
Les syndicats ont un rôle à jouer
Par l’action politique et des revendications pour de meilleures lois et des investissements massifs pour le logement social et communautaire, les syndicats jouent déjà un rôle pour régler la crise de l’habitation.
Cela dit, cet enjeu doit redevenir une priorité pour le mouvement syndical et des pressions politiques doivent s’exercer à Ottawa, à Québec ainsi que dans chaque municipalité. Bien qu’il revienne d’abord aux gouvernements de régler cette crise, les syndicats disposent de leviers d’action qu’ils peuvent mobiliser dès maintenant, particulièrement grâce à la négociation collective.
Face aux difficultés de leurs membres, de plus en plus de syndicats aux États-Unis abordent la question du logement lors du renouvellement des conventions collectives. Voici quelques exemples de ces innovations syndicales. Dans le secteur de l’éducation, certains syndicats exigent la conversion de bâtiments inutilisés pour loger leurs membres ou les familles d’élèves qui ne disposent pas d’un logement adéquat. Dans d’autres cas, on demande la cession de certains terrains vacants pour y construire du logement social. De telles demandes s’inscrivent dans un courant où les négociations doivent simultanément viser l’amélioration directe des conditions de travail, mais aussi le bienêtre de la communauté.
Le Culinary Workers Union Local 226, qui représente des travailleuses et des travailleurs de casinos de la région de Las Vegas, a négocié un fonds pour le logement afin de favoriser l’accès à la propriété pour ses membres. Pour ce faire, le syndicat accorde un prêt sans intérêt pouvant atteindre jusqu’à 20 000$, ce qui donne un coup de pouce pour la mise de fonds ainsi que tous les frais afférents à l’achat d’une maison. Depuis son implantation en 2007, cette initiative a soutenu plus de 1 700 membres du syndicat. À Los Angeles, un syndicat de l’hôtellerie a proposé d’imposer une surtaxe de 7 % sur les prix des chambres afin de construire du logement social et fournir des prêts à très faible intérêt aux membres qui ont de la difficulté à payer leur loyer.
En remontant plus loin dans le temps, on constate que les syndicats ont déjà été extrêmement ambitieux en matière de logement. Au Québec, la FTQ a proposé le projet Corvée Habitation afin de relancer la construction domiciliaire dans un contexte de ralentissement du secteur de la construction. Ce grand succès a pavé la voie au Fonds de solidarité FTQ, lequel collabore avec les acteurs du milieu pour favoriser la construction de logements communautaires et abordables. Aux États-Unis, des syndicats ont contribué à construire des immeubles afin de loger leurs membres et les populations les moins nanties. À New York, un syndicat de l’électricité a construit un complexe de 38 bâtiments (Electchester) en 1949, lesquels abritent encore des membres syndiqués. Partout dans le monde, les syndicats et les forces progressistes ont contribué à la construction de logements sociaux et communautaires afin que le profit n’entre plus dans l’équation. Face à l’ampleur des défis et au laxisme des gouvernements, peut-être est-il temps pour les syndicats de s’impliquer plus activement dans la mise en œuvre de solutions à la crise de l’habitation.
Pour régler la crise, il suffit d’augmenter l’offre en facilitant la construction au privé.
Il faut construire plus d’habitations, oui, mais surtout des logements sociaux et à prix modique. Le privé n’a jamais pu fournir suffisamment de logements abordables et en bon état pour les personnes à faible revenu.
La vie chère vue par les syndicats affiliés
Anny Gilbert, conseillère au SCFP
Elle œuvre dans cinq secteurs (transport, municipal, santé, mixte, incendies) et dans plusieurs régions (Saguenay-Lac-Saint-Jean et Nord-du-Québec).
« Pendant de nombreuses années, on a obtenu du 2 % à 2,5 % par année d’augmentations salariales. Il n’y a pas eu d’enrichissement. Les membres ont donc des attentes élevées sur le plan monétaire et ils nous les manifestent. Mais pour obtenir de bonnes hausses salariales, il faut de la solidarité. Les membres l’ont bien compris et ça a donné des résultats grâce à la mobilisation des exécutifs et des membres. Ça a été positif pour la vie syndicale. La dynamique de négociation a vraiment changé. On a des arguments qui sont justes parce que, comme tout le monde, on subit l’augmentation des prix quand on fait notre épicerie et qu’on paie notre hypothèque. Les employeurs sont conscients que des ententes sont rejetées malgré de bonnes augmentations et que c’est la réalité des milieux de travail. C’est sans compter que l’inflation est venue empirer les difficultés de rétention du personnel chez certains employeurs parce que les salaires ne sont pas attractifs. »
Marc-André Paré
Représentant national au service au Bureau de Trois-Rivières pour Unifor
« Les membres sont déterminés à aller chercher des offres satisfaisantes. Je suis allé chercher plusieurs mandats de grève à 100 % ou proche de 100 %. Quand l’employeur fait des offres salariales très basses, ils se disent que c’est ça qu’ils auraient eu s’ils n’étaient pas syndiqués. Ceux qui ne comprenaient pas à quoi servait un syndicat le comprennent un peu plus aujourd’hui. Un de nos groupes est en grève depuis 16 semaines parce que les membres veulent un rattrapage salarial pour les trois grosses années d’inflation. Pendant le conflit, certains ont trouvé des jobines en attendant, mais d’autres se sont trouvé des emplois permanents. C’est un réel enjeu. »
Michel Thivierge
Représentant syndical attitré à la négociation, Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 500 (TUAC-500)
Michel Thivierge, représentant syndical attitré à la négociation, Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 500 (TUAC-500)
« Les prix augmentent de partout : le logement, l’essence, le panier d’épicerie et le transport. Je me promène beaucoup pour mon travail et c’est rendu une réalité à la grandeur du Québec. Se trouver un logement, c’est tout un défi. Et devenir propriétaire c’est devenu impensable avec les prix de l’immobilier. On est dans le secteur alimentaire, mais aussi dans la transformation alimentaire, le secteur bancaire et l’hôtellerie. Peu importe le secteur, les gens sont inquiets de la perte du pouvoir d’achat. Même si l’inflation a commencé à descendre, ils ne voient pas la différence. Les salaires n’ont pas toujours suivi l’inflation des années de la pandémie et il y a une volonté pour un rattrapage salarial afin de maintenir le pouvoir d’achat. »