Grand dossier : La vie chère

Les solutions à la crise de l’habitation


Dans ce dossier spécial, Le Monde ouvrier a choisi de braquer les projecteurs sur la crise de la vie chère : non seulement pour démystifier ces raccourcis faciles, mais pour explorer des solutions ambitieuses et nécessaires face à une situation aussi déplorable. Car il ne s’agit pas seulement de logements, mais d’un modèle de société qui dérape.

Les solutions à la crise de l’habitation

Malheureusement, il n’existe pas de solution unique pour régler rapidement et durablement la crise de l’habitation. Pour la FTQ, une véritable sortie de crise débute par une prise de conscience collective sur la reconnaissance du droit au logement. Tant et aussi longtemps que les gouvernements continueront de privilégier les intérêts financiers et le droit à la propriété au lieu des besoins humains, cette crise ne se réglera pas.

Rapidement, les gouvernements doivent renforcer les droits des locataires. À cet égard, des mesures pourraient être rapidement mises sur pied. Un fort consensus existe concernant l’efficacité d’un registre des loyers pour limiter les hausses abusives. Un tel outil a déjà été développé par l’organisme Vivre en ville et pourrait être rapidement utilisé s’il y avait volonté politique de la part du gouvernement. Les dysfonctionnements du Tribunal administratif devraient aussi être corrigés afin d’assurer un véritable accès aux services et à la justice ainsi que de garantir un contrôle des loyers.

Face à l’ampleur de la crise, l’heure est peut-être venue de formaliser la défense des intérêts collectifs des locataires à l’instar de ce que font les syndicats. Déjà, des groupes de locataires ont mené des luttes héroïques, mais extrêmement exigeantes, contre des tentatives d’évincement. Cela dit, il n’existe pas de mécanisme formel pour leur garantir un droit d’association incluant celui de négocier avec son propriétaire.

Encore une fois, certains États américains progressistes pavent la voie à de telles solutions. En 2022, le gouvernement local de San Francisco a adopté une loi qui accorde un droit d’association aux locataires. Pour tout immeuble comprenant plus de cinq unités, les locataires peuvent former une association si la majorité des résidentes et des résidents y consentent. Cette association peut informer ses membres et organiser des assemblées. Les propriétaires ont l’obligation de discuter de bonne foi avec l’association et doivent assister à une de leur rencontre au moins tous les trois mois. Le non-respect du droit d’association des locataires par le propriétaire peut même servir de motif à une réduction de loyer! Une association de locataires s’est appuyée sur ce nouveau cadre légal pour faire la grève des loyers, ceux-ci étant versés en fiducie le temps des moyens de pression, afin de forcer le propriétaire à régler les problèmes d’insalubrité de l’immeuble.

Dans mon temps je pouvais me trouver un petit 4 ½ pas cher. Il faut juste chercher un peu.

Dans les grands centres au Québec, le loyer moyen pour un deux chambres à coucher s’élevait à 1 042 $ en octobre 2023 selon la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL). Cela dit, les prix des loyers sur le marché sont beaucoup plus élevés. D’après le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ), le loyer moyen demandé sur Kijiji pour un 4 ½ était de 1504 $ en 2023. Sur le site Rentals.ca, le loyer moyen demandé en septembre 2024 pour un deux chambres à coucher au Québec était de 2 168 $! Et tout le reste n’est pas encore payé : téléphone, chauffage, épicerie.

Si les syndicats savent bien une chose, c’est que la force du nombre fait toute la différence devant un adversaire de taille. Plusieurs appellent également à limiter la spéculation immobilière, à démarchandiser le logement et à considérer l’habitation comme un bien essentiel. Autrement dit, il faut cesser de considérer une maison ou un immeuble comme une façon de faire de l’argent ou d’accumuler de la richesse. En priorité, il apparaît fondamental de construire massivement des logements sociaux et communautaires, ce qui nécessite des investissements de la part des deux paliers de gouvernement.

À cet égard, le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) propose de doubler la part de ce type de logement en 15 ans. Le documentaire Le dernier flip relatait entre autres l’expérience de la ville de Burlington avec les fiducies foncières communautaires comme solution pour maintenir l’abordabilité en habitation. Il y aurait également lieu de serrer la vis aux plateformes comme Airbnb qui retirent des logements du marché locatif. Ce ne sont pas les solutions qui manquent pour s’attaquer à la crise. Ce sont plutôt les embûches politiques qui risquent d’être fort nombreuses. Lorsque le Parti libéral du Canada a augmenté le taux d’inclusion du gain en capital dans son dernier budget, plusieurs propriétaires sont montés aux barricades pour dénoncer une mesure pourtant juste et équitable. En 2022, la proposition progressiste de Québec solidaire d’imposer davantage la richesse n’a pas été bien reçue par tout le monde.

La crise de l’habitation fait déjà des gagnants et beaucoup trop de perdants. Des débats de société devront avoir lieu sur les solutions à mettre de l’avant et surtout pour remettre en question les privilèges trop longtemps détenus par une minorité. Chose certaine, toute stratégie sérieuse devra être ambitieuse et prévoir des investissements. Dans tout ça, qui devra payer la facture? Les ménages locataires qui font déjà les frais de cette crise ou tous les acteurs qui en ont tiré des bénéfices immenses ?